AMOURS ET TOURISME
Le « couplage » des Amours et des Tourismes : voilà une évidence qui saute aux yeux, mais qui, paradoxalement, n’a jamais été traité sérieusement, en mettant face à face l’immense variété des demandeurs – les couples hétéro et homos, déjà constitués ou en recherche l’un de l’autre- et les multiples offres de voyage qui favorisent si bien, et depuis des siècles, soit la rencontre de ces couples, soit l’épanouissement de ceux qui se sont déjà formés. Le champ va donc de la drague occasionnelle au voyage de noces dûment programmé.
Ce couplage, c’est le défi qu’a relevé l’AFEST (Association Francophone des Experts et Scientifiques du Tourisme) lors d’une Conférence (qui s’est déroulée à Paris en juin 2011) et dont les apports et témoignages ont été si fructueux qu’ils ont rendu nécessaire l’écriture de l’ouvrage Amours et Tourismes. Les dix co-auteurs du livre, préfacé par Yves Michaud (un spécialiste du genre depuis son ouvrage Ibiza mon amour), savent de quoi ils parlent : ils sont voyagistes et professionnels de l’accueil des amoureux et des amants, responsables de destinations romantiques et donc prédestinées à l’amour, animateurs de sites de rencontres en ligne qui se concrétisent invariablement dans un lieu spécifiquement touristique –du bar à l’hôtel, puis aux courts séjours et vacances si affinités-, spécialistes des vacances gays, professeurs et consultants embrassant tout le spectre des déplacements à motivation amoureuse, et philosophes explicitant la remarquable convergence entre les affects et attentes des amoureux avec les ressentis du voyage : on se trouve dans la même bulle sensuelle, le même détachement du quotidien, la même sensation de liberté et de disponibilité à de nouvelles perceptions.
Concrètement, les voyages en situation amoureuse sont plus riches d’émotions et de souvenirs que les autres, et les chiffres d’affaires liés au tourisme des amoureux s’en trouvent singulièrement amplifiés !
Dévoiler les relations incestueuses entre envies voyageuses et motivations amoureuses tout au long de cet Amours et Tourisme va-t-il briser la magie pour les aspirants à cette expérience. C’est peu probable, mais cela peut contribuer à éliminer l’improvisation dans l’accueil de ces publics chez les professionnels du tourisme.
AMOURS ET TOURISME
Ouvrage collectif sous la direction de Claude ORIGET du CLUZEAU (c.o.c@wanadoo.fr), éditions L’HARMATTAN – 2013.
EXTRAITS
Préface
Yves MICHAUD
Auteur de Ibiza mon amour. Enquête sur l’industrialisation du plaisir, édition Nils, 2012
Amours et tourisme, voilà un sujet dont l’évidence crève les yeux, mais qui reste bizarrement peu traité, comme s’il gardait quelque chose de tabou ou d’évanouissant. Car la relation entre amours et tourisme est bien connue et ne date pas d’hier. Dans l’Odyssée d’Homère, les aventures d’Ulysse retournant dans sa patrie sont jalonnées d’amours – de Calypso à Nausicaa sans oublier les Sirènes. Il ne manque pas même les drogues des Lotophages… Tourisme forcé, dira-t-on, mais tourisme quand même.
Le journal de voyage de Montaigne serait une très curieuse exception « asexuée », mais la littérature picaresque associe voyage et aventures sexuelles et au XVIIIe siècle, le grand tour sur le Continent est l’occasion de plaisantes rencontres, que ce soit celles avec les belles et nobles dames qui s’ennuient ou celles, expéditives, avec les servantes. En témoigne ce passage d’une lettre de Samuel Johnson, qui n’a rien à envier à notre DSK national en sa chambre du Sofitel.
Il l’écrit depuis Berlin le 11 septembre 1764 et a alors 24 ans : « Je n’avais pas dormi de la nuit. Vers huit heures du matin, entra une femme de chambre avec un panier de chocolat à vendre. Je jouai avec elle et me rendis compte qu’elle était enceinte. Oh ! Un beau morceau sans risques. Aussitôt dans mon cabinet. “ As-tu un homme ? ” “ Oui, dans les gardes à Potsdam ”. Au lit direct. En une minute – terminé. Je me lève tranquille et étonné. À moitié en colère, à moitié rieur. Je la mets dehors aussitôt. »
Au XIXe siècle le voyage en Orient n’est pas uniquement culturel mais toujours aussi sexuel. Artistes et écrivains en reviennent même, comme Flaubert, avec la syphilis. À la fin du siècle, l’association tourisme-exotisme-érotisme sera devenue banale.
Pourquoi ce lien entre amours et tourisme ? Pour une raison fort simple, à savoir que l’expérience touristique et l’expérience amoureuse ont beaucoup de choses en commun – presque tout.
Introduction
Patrick VICERIAT
Président de l’AFEST, directeur du pôle tourisme de Artélia
L’amour constitue à l’évidence une valeur sûre du tourisme et l’un des motifs majeurs de déplacement touristique, mais reste encore un sujet largement tabou, mal appréhendé, et difficile à quantifier en termes de fréquentation et de chiffre d’affaires.
Combien de séjours touristiques sont déclenchés par des aspirations amoureuses : partir avec un/une chéri(e) ou espérer le/la rencontrer sur place ! Escapades amoureuses et romantiques, voyages de noces et lunes de miel, anniversaires de mariage, voyages de célibataires avec rencontres en vue… les raisons de voyager sont multiples.
La puissance de la motivation amoureuse dans le tourisme et les voyages n’a jamais été vraiment explorée par le monde de la recherche et de l’enseignement. L’AFEST[1] a souhaité relever ce défi en organisant une conférence sur le thème « Amours et Tourisme »[2].
Dans le domaine économique, et surtout pour les professionnels du tourisme, l’amour, c’est aussi un « marché », au même titre que pour la joaillerie, la parfumerie… même si ce rapprochement entre amour et marché peut paraître à certains incongru.
Amours et tourisme, un marché émergent
Jean-Pierre LOZATO-GIOTARD
Vice-président de l’AFEST, directeur de recherches à Paris III Sorbonne Nouvelle
Bien que l’évaluation économique de ce marché « émergent » soit rendue assez hasardeuse par manque de sources fiables, le seul marché des honeymoons ou lunes de miel est estimé à 80 milliards d’euros – près de 10% des dépenses touristiques internationales – principalement en Europe et aux États-Unis d’Amérique.
En intégrant toutes les niches commerciales, le poids économique d’Amours et Tourisme dépasse bien d’autres marchés touristiques jugés beaucoup plus traditionnels.
Sans être exhaustives, ces pratiques, dont l’amour demeure la principale motivation, contribuent à renforcer le caractère attractif de destinations de plus en plus concernées et aptes à s’ouvrir et à développer leurs offres en direction de ces clientèles dont les budgets et les séjours sont généralement bien supérieurs – donc plus rémunérateurs – au panier moyen de la plupart des autres types de clientèles touristiques.
Cela représente plusieurs millions de touristes en englobant ceux dont la motivation est principalement un déplacement et un séjour « amoureux » (lune de miel, rencontres…) et ceux dont l’amour n’est que l’un des prétextes à un déplacement touristique sous la forme d’excursions ou de visites comme à Vérone.
L’extension géographique des destinations capables de répondre aux demandes inspirées par l’amour peut englober aussi bien des villes, comme Paris et Venise, jouissant d’une très forte notoriété touristique, que des marchés aux fiancés comme celui d’Imilchil, dans l’Atlas marocain, ou encore celui de Sapa au Vietnam, qui figurent désormais au catalogue de voyagistes proposant à leurs clients la découverte de traditions demeurées authentiques. Certes, seules quelques destinations catalysent la majorité des flux touristiques amoureux mais sans exclure un marché émergent pour certaines destinations plus marginales comme Erice, en Sicile, ou Sarlat (week-end de rencontres pour seniors) dans le Périgord.
Terres de Charme
Claude BLANC
Directeur du voyagiste Terres de Charme
Depuis près de quinze ans, Terres de Charme est un artisan du voyage individuel « sur-mesure ». Notre singularité est de dénicher des lieux qui se caractérisent par leur supplément d’âme et d’ignorer ceux qui l’ont perdue… Notre unique ambition : élaborer des itinéraires et des expériences qui permettent l’étonnement, et offrir un certain sens de la magie du monde, de son intégrité et de son héritage. Notre cœur de cible : celui des amoureux.
Le voyage peut jalonner chaque phase de la relation amoureuse. Au fil du temps, le voyage de noces s’est imposé comme une composante essentielle de la notion de Mariage. L’envol des jeunes mariés vers des archipels idylliques, riches en plages et en cocotiers, (Polynésie, Maldives, Seychelles…) constitue aujourd’hui un segment de marché florissant de l’industrie touristique.
Le voyage qui conclut généralement l’union civile et/ou religieuse de deux amoureux se transforme parfois en voyage « nuptial ».
Dans ce cas le voyage est organisé autour de la cérémonie de mariage et permet au couple qui souhaite « convoler en justes noces », de célébrer leur mariage à l’étranger et de se faire accompagner par leurs parents et amis, en jouissant du cadre particulièrement romantique d’un village italien, d’une île grecque ou d’un riad marocain. Ce type de voyages, encore réservé à quelques « happy few », fait le bonheur des « wedding planners » qui commencent à fleurir en France après les pays anglo-saxons.
Par ailleurs, les dates anniversaires de mariage sont également propices à l’organisation de voyages, soit sur les lieux du voyage de noces initial – ils sont alors vécus par le couple comme une immersion dans un véritable bain de jouvence – soit vers une destination exotique où le renouvellement des vœux sera célébré conformément aux rituels ancestraux locaux : polynésiens, mélanésiens ou parfois mauriciens.
Enfin, une nouvelle génération d’hommes choisissent le voyage comme un élément clé de leur stratégie de séduction et invitent la femme, objet de leur convoitise, pour une escapade romantique, notamment dans une ville éternelle riche d’imaginaire amoureux (Venise, Florence, Vérone, Prague, Saint-Pétersbourg, etc.) avec le secret espoir que les deux chambres « single », élégamment réservées à l’avance, se transformeront à la fin du voyage en une suite « prénuptiale ».
D’autres couples déjà formés décideront d’officialiser leur relation en présentant leur demande en mariage lors d’un voyage symbolique, sur un site mythique, inspirés par un souffle divin du meilleur augure, comme les Pyramides de Gizeh, l’Acropole d’Athènes ou encore la place Saint-Pierre de Rome.
Tout au long de la vie du couple, le voyage aura un effet bénéfique sur la relation amoureuse, en permettant lors d’une parenthèse à deux de renouer avec des dialogues et des échanges intimes au sein d’alcôves propices. Le charme d’une chambre douillette, loin de chez soi, réussit souvent à raviver la flamme vacillante d’une passion émoussée par les affres du temps ou une routine funeste.
Touristes gays et amours voyageuses
Laurent QUEIGE
Directeur de cabinet de l’adjoint au Maire de Paris chargé du tourisme
La recherche de l’amour – ou plutôt des amours – constitue une motivation centrale des homosexuels en vacances. Confrontés à la norme hétérosexuelle dans leur vie de tous les jours, aux regards accusateurs, aux rejets, aux insultes, ils sont « sortis du placard » et se sont créé des espaces-temps de liberté, au fur et à mesure que la société leur ouvrait de nouvelles fenêtres. Depuis trente ans est né un tourisme gay, plaçant la quête de soi-même, d’une sociabilité décomplexée et de nouveaux partenaires sexuels au cœur de l’enjeu du voyage. Les vacances, ces moments éphémères propices au relâchement des règles sociales, aux plaisirs du corps et de l’esprit, sont pour les gays des opportunités d’exprimer librement leur orientation sexuelle, qu’ils sont contraints de masquer plus ou moins dans leur quotidien.
Beaucoup se sont affranchis des règles sociales traditionnelles – issues de la morale religieuse – liant affectif et sexualité. Pour eux, la recherche de partenaires sexuels n’entre pas en contradiction avec la vie de couple. Répondant à l’appel de Michel Foucault à « fonder de nouvelles formes de familles », ils construisent leur environnement affectif, cette famille choisie, à partir de rencontres sexuelles qui se muent en relations amicales avec le temps.
Les vacances en constituent évidemment le moment idéal et il est fréquent pour les gays de compter des (ex) amants et/ou amis dans d’autres régions ou pays. Ceci leur crée un réseau amical international, propice aux visites et donc aux voyages.
Comme une romance à Paris. Un événement destiné à promouvoir Paris et la chanson
Josette SICSIC
Directrice de Touriscopie (www.touriscopie.biz)
Durant deux hivers, en plein mois de février autour de la fête de la Saint-Valentin, l’événement Comme une romance à Paris a tenté de promouvoir auprès d’un public de visiteurs deux éléments majeurs du patrimoine parisien : la chanson d’amour et les sites touristiques souvent méconnus qu’elle évoque. Jouant sur les deux sens du terme de « romance » et sur deux registres, cette manifestation a aussi inauguré un mode de visite original qui devrait faire des émules….
Qu’ils soient japonais, nord-américains, européens ou français, bon nombre de visiteurs ont en effet en tête des chansons aux interprètes célèbres ayant fait le tour de la planète. Lesquelles ?
En tête du hit-parade trônent Édith Piaf et des succès comme « La vie en rose » et « l’Hymne à l’amour », suivis par les multiples interprétations des « Feuilles mortes », notamment celle d’Yves Montand, suivis encore par les chefs-d’œuvre de Charles Aznavour ou Charles Trenet et son immortelle « Romance de Paris ». Sans compter bon nombre de rengaines aux interprètes moins bien identifiés, mais qui n’en sont pas moins évocateurs de la réputation internationale des artistes hexagonaux, du goût de tous les publics pour la chanson et des immenses capacités de séduction d’une thématique fondée à la fois sur la ville mais aussi sur une expression artistique populaire.
Indiscutablement, la chanson d’amour, très présente dans les imaginaires touristiques, se constitue donc comme un pan du patrimoine historique et culturel parisien, au même titre que la Tour Eiffel et le Sacré Cœur ! Mieux, la chanson française toute entière trouve une place de choix sur la vaste palette d’un tourisme urbain traditionnellement consacré à la culture « majeure », au détriment de formes d’expression moins académiques mais non moins évocatrices du génie français.
L’idée était trouvée. L’argumentaire et les dates aussi : Comme une romance à Paris devait avoir lieu durant la semaine de la Saint-Valentin.
São Paulo, une ville où amours et tourisme coopèrent
Fabien BERDAH
Secrétaire général de l’AFEST. Manager d’OptiManaging à Paris, São Paulo et Dakar
Mais qui sont les Brésiliens ? Un peuple désinhibé, aimant la vie et le plaisir, pour qui empathie et plaisir de vivre sont primordiaux. Ici l’amour, et donc la motivation amoureuse, sont partout et nulle part à la fois. Inutile d’en parler et, par là-même, d’être vulgaire. Tout se joue en finesse, en séduction, dans le regard et sans arrière-pensée. Il s’agit d’un plaisir partagé, sain et festif, et surtout non vénal.
Parmi les mutations qualitatives et commerciales visibles, la différence d’offres entre hôtels et motels en milieu urbain est notable. Le Day Use[3] se propage dans l’ensemble du parc hôtelier Paulista sous la forme d’une offre de 3 heures (généralement incluse dans la pause de mi-journée de 12 heures à 15 heures) appelée « estadia de curta permanência ».
Cette offre particulière répondant à la motivation amoureuse représente un dixième des 66,7% de taux d’occupation hôtelier Paulista en 2010.
Pour autant, il ne s’agit pas là d’un argument commercial majeur et prépondérant, mais simplement d’un reflet de l’adaptation logique d’une industrie de prestations de services à l’identité culturelle constituant son environnement.
Amours et outils touristiques du futur : Les synergies entre e-@mour et e-tourisme
Hélène ANTIER
Responsable de la communication du site AshleyMadison.com, leader international de la rencontre extraconjugale
À l’ère florissante d’Internet et des réseaux sociaux, amours et tourisme se conjuguent au numérique. Cet ouvrage se devait, bien évidemment, d’aborder la thématique des sites de rencontres qui, indéniablement, génèrent des revenus non négligeables pour l’industrie du tourisme. Pour en savoir plus, il suffit d’observer Gleeden.com, un site Internet spécialisé dans la rencontre en ligne de personnes mariées ou en couple. En plus de faire couler beaucoup d’encre pour des raisons que l’on évoque plus loin, c’est l’un des sites de rencontres qui occasionne le plus de dépenses touristiques. Ce n’est guère étonnant quand on sait que Gleeden.com n’est pas un site de rencontres comme les autres : il se présente comme le premier site de rencontres extraconjugales pensé par des femmes….
Un amant, une maîtresse, mille raisons de se retrouver en terrain inconnu. Être infidèle implique non seulement de tomber amoureux, mais aussi de vivre cette aventure amoureuse de façon secrète. Tomber amoureux : il a été observé que les personnes qui s’inscrivent sur le site sont à la recherche de quelque chose de différent.
Elles aimeraient, par exemple, partager avec un amant un centre d’intérêt qu’elles ne partagent pas ou plus avec leur partenaire officiel. À partir de ces affinités-là se tissent des liens de plus en plus étroits, entre deux personnes à l’origine étrangères l’une à l’autre. Dans l’enquête menée auprès de ses membres, 87% des inscrits partagent des loisirs avec leur amant ou leur maîtresse. Alors ils se retrouvent dans des musées, des salles de concert, de cinéma, ou à l’occasion d’un événement sportif.
L’enquête révèle les lieux de rencontres favoris des amants : dans un restaurant, un café, à l’hôtel ou dans la nature… mais aussi dans une voiture. Le marché de l’infidélité est avant tout le marché des rencontres et de l’amour… de l’amour d’une autre personne, mais de l’amour quand même. Si les rapports qui s’y développent sont, très fréquemment, stigmatisés, perçus comme étant purement sexuels, il suffit d’interroger des amants et maîtresses pour comprendre que ces préjugés ne sont que des idées reçues, bien éloignés de la réalité vécue. Ainsi 62% des infidèles partent en vacances avec leur amant ou leur maîtresse. Selon eux, les coffrets loisirs les plus adaptés à leurs besoins seraient une formule à la journée, un pack hôtel de deux jours, une escapade en chambre d’hôtes, ou même des soins de massage et relaxation pour deux personnes.
Ensemble, les amants désirent échapper à leur quotidien, partir à l’aventure, pimenter leur vie en se retrouvant dans des endroits où ils peuvent vivre leur amour discrètement. C’est ainsi qu’ils se retrouvent sous d’autres cieux, car les voyages et le tourisme sont connus comme étant le meilleur moyen d’évasion. À noter, ces amants du cyberespace réserveront en ligne leur table dans un restaurant et leurs voyages sur des agences de voyage en ligne.
Et la tendresse, b… !
Antoine PLANCHEZ
Administrateur de l’AFEST, restaurateur
Si les critères touristiques par population, ou par segments-marketing, existent et sont bien identifiés, par contre, pour les individuels – les solos – c’est nettement plus compliqué.
En effet, ces derniers consomment du tourisme seuls, mais pas pour le rester. Pour ce qui est de « Meetic », la tactique est assez simple : Meetic s’est contenté d’appliquer le principe marketing bien connu des boîtes de nuit en offrant l’entrée aux femmes pour y attirer les hommes.
Mais en matière de marketing touristique, la difficulté réside toujours dans l’identification du produit à vendre et des risques importants d’interprétation par la clientèle. La dimension sentimentale de l’amour, plutôt personnelle, confrontée à celle plus sociale d’un groupe d’individus partageant une activité à déclinaison « amoureuse » ponctuelle, dans un lieu particulier, confirme l’impossibilité d’un message universel. Nous avions d’ailleurs buté sur ce problème pour énoncer le thème de la conférence de l’AFEST et, partant, de cet ouvrage.
Voyager par la pensée, penser par le voyage
Claude OBADIA
Philosophe
Je me suis en effet posé la question que vous devinez. Comment se fait-il que le voyage soit l’événement qui symbolise la réalisation de l’union matrimoniale ? Que signifie cette liaison ? Pourquoi, en d’autres termes, le voyage est-il pour ainsi dire partie constitutive du mariage ou de la contraction du lien amoureux ? Sans doute faut-il ici commencer par faire acte d’humilité… Pourra-t-on jamais comprendre la diversité des mobiles du mariage et ramener cette diversité à l’unité d’une hypothèse forcément malmenée par tel ou tel vécu particulier ?
Mais je pense pourtant qu’il est opportun ici d’interroger l’acte du mariage si l’on veut y voir plus clair. Que vise-t-on en se mariant ? Pourquoi se marie-t-on ? Pourquoi décide-t-on d’unir sa vie à celle d’une autre personne, ce qui peut d’ailleurs se concevoir hors des liens du mariage que je ne réduis pas ici à sa seule déclinaison juridiquement entérinée. Je veux dire que de la même façon que de nombreuses personnes se marient sans s’épouser vraiment (ce qui selon moi explique pourquoi ils divorcent si souvent…), il en est d’autres qui s’épousent vraiment sans se marier du tout !
Le mariage, ou la culture d’une relation amoureuse à travers laquelle on se donne à l’autre qui se donne aussi, est chargé, de façon plus ou moins consciente, d’un certain nombre d’attentes et d’espoirs, parfois secrets. Il est d’abord – il importe de le répéter – je prends la notion non pas dans son sens exclusivement civil et institutionnel, mais dans son sens littéral qui inclut donc la dimension spirituelle, psychologique et donc amoureuse…
– Il est d’abord donc la promesse d’une vie nouvelle.
– Il exprime aussi la volonté de s’unir à l’autre, d’accueillir l’autre.
– Il est encore l’attente d’un enrichissement personnel.
Or ces trois points me semblent, à eux seuls, nous aider à comprendre la résonance, l’écho de ces deux symboliques que sont celle de l’amour et celle du voyage : la promesse d’une vie nouvelle. Comment s’étonner que, si la vie amoureuse et a fortiori le mariage portent en eux l’espoir d’une vie nouvelle, d’une expérience inédite ou encore d’un bonheur à venir, le voyage soit comme la cérémonie ou encore la célébration de cette aspiration partagée ?
Car que fait-on lorsqu’on voyage, sinon rompre avec ses habitudes, rompre avec son environnement tout à la fois géographique, urbain, social, familial ? En ce sens, partir en vacances, partir en voyage, n’est-ce pas se rendre précisément vacant, disponible, et disponible pour une autre, une nouvelle, vie ?
Pourquoi les amoureux apprécient-ils tellement et projettent-ils avec enthousiasme tel ou tel voyage, disposés en outre à y consacrer des budgets tout à fait considérables, sinon d’abord parce qu’ils vivent là le programme, la promesse et l’engagement mutuel de se consacrer à construire cette nouvelle vie, loin des habitudes passées ?