Comment se masturbent-elles ?
Il y a celle qui le font sous la couette avec deux doigts, celles qui contractent les jambes le plus fort possible, celles qui s’offrent au jet de la douche, celles qui vibrent avec la machine à laver, celles qui chevauchent un accoudoir de fauteuil, celles qui détournent leur brosse à dents électrique… Un vrai poème à la Prévert. Ou plutôt à la Colette Renard, cette demoiselle qui chantait en 1963 comment elle passait ses nuits à se faire « béliner le joyau », « gonfler la mouflette » ou « reluire le berlingot ». On en redemanderait, car le terme « se masturber » décrit mal l’inventivité des femmes pour se donner du plaisir en solo. Peut-être manque-t-on de mots parce qu’on en parle peu ? Se donner du plaisir, égoïstement et sans rien attendre de personne, reste un tabou. « Il est difficile d’obtenir des confidences sur le sujet, reconnaît, dans son “Antiguide de sexualité”(1), Sylvain Mimoun, gynécologue et sexologue, qui reçoit pourtant les femmes dans le secret de son cabinet. La masturbation suscite encore et toujours de la honte, de la gêne, de la cachotterie. » Pourtant, que d’évolution par rapport à l’époque de Colette Renard où moins de 20 % des femmes disaient s’être caressées. En 2011, près de 70 % d’entre elles l’ont « avoué » dans la grande enquête menée auprès de 3 400 femmes par le psychiatre et sexologue Philippe Brenot, publiée dans « Les Femmes, le sexe et l’amour »(2).
Chacune a sa technique
Qu’y apprend-on ? Que chacune a son rituel, une technique qui marche à tous les coups, souvent héritée de l’enfance ou de l’adolescence, à l’époque où l’on découvre une mine d’or de plaisir. Que certaines jouissent dans le métro ou devant leur ordinateur après le boulot, d’autres au volant de leur voiture ou à côté de leur partenaire sans qu’il s’en aperçoive. Que 73 % font éclore leur clitoris dans leur main et 23 % avec un vibromasseur. Que 26 % incendient leur vagin en y glissant les doigts et 21 % avec un sex-toy. Que 54 % atteignent l’orgasme en moins de cinq minutes. Une efficacité qui va en épater plus d’un… « Mais si un quart d’entre elles pratiquent la masturbation de manière régulière (une fois par semaine), les trois quarts ne s’y adonnent qu’épisodiquement, quelques fois par mois ou par an », regrette Philippe Brenot. Or, les sexologues le répètent depuis vingt ans : la masturbation est une des clés du plaisir féminin. « On pensait avoir fait des progrès à force de réitérer que, pour accéder au plaisir à deux, il faut d’abord se connaître soi-même et être capable d’une excitation autonome, mais je crains qu’on n’ait régressé : les jeunes filles entrent désormais dans la sexualité à 15-16 ans directement en faisant l’amour, et viennent nous voir à 25 ans parce qu’elles ne jouissent pas. On ne peut faire l’économie de l’auto-érotisme si on souhaite une sexualité épanouie. »
Trois profils de femmes
Aujourd’hui, le psychiatre décrit trois catégories de femmes : un tiers sont très satisfaites de leur sexualité, elles ont un accès facile à l’orgasme et se taquinent le coquelicot régulièrement. Une part importante, 25 à 40 %, n’éprouvent pas un plaisir à la hauteur de ce qu’elles souhaiteraient : (parmi elles environ 25 % n’accèdent pas facilement à la jouissance, 30 % ne se sentent pas pleinement épanouies, 30 % ne se touchent jamais). Enfin, un tiers d’entre elles connaissent une sexualité compliquée, marquée par la honte, la culpabilité ou le dégoût. Le décalage avec les hommes est flagrant. « Pourquoi croyez-vous que 90 % des hommes bandent et éjaculent ? Parce que 90 % des hommes se masturbent depuis le plus jeune âge, interpelle Philippe Brenot. Ceux qui ne l’ont pas fait connaissent des troubles de l’érection. Alors comment s’étonner que, pour les femmes qui ne se caressent pas, l’orgasme ne soit pas au rendez-vous ? »
Apprendre à connaître son sexe
La question du premier rapport est révélatrice. Près de 45 % des filles ne se sont jamais masturbées avant, ou seulement quelques fois par an, alors que presque tous les garçons sont passés par là. Une raison physiologique : le pénis est facile à attraper, l’enfant le tient pour uriner, l’adolescent bande… Alors que la vulve reste cachée. La mère ne la touche qu’avec du coton. La fillette doit « découvrir » le clitoris. Le vagin reste invisible. Personne n’incite l’adolescente à s’aventurer sur ce territoire. Au contraire, de nombreuses femmes ont retenu que c’est « sale » ou « mal ». Pas étonnant que, lors du premier rapport, 76 % des garçons ont un orgasme contre seulement 6 % des filles. « La zone génitale doit être progressivement apprivoisée, pour devenir sexuellement fonctionnelle, explique Philippe Brenot. Il y a une véritable maturation physiologique et neurologique de la région, qui s’acquiert par l’apprentissage avec soi-même. C’est probablement ce qui explique que la moitié des femmes connaissent des difficultés à accéder facilement au désir et au plaisir. Il ne s’agit pas d’une pathologie, mais d’un manque d’éducation sexuelle. » C’est d’ailleurs la première chose que les sexologues conseillent : apprendre à connaître son sexe, l’explorer avec les doigts ou un sex-toy si on n’est pas à l’aise. Etre attentive à ses sensations. Le titiller, l’effleurer, l’asticoter. « Bricoler la cliquette » ou « frotter la péninsule », dirait notre amie Colette. A l’extérieur, comme à l’intérieur. Car on a tendance à « oser le clitoris », pour reprendre le thème d’une campagne de l’association Osez le féminisme !, mais moins à « oser
A quoi sert la masturbation ?
« La masturbation ne doit pas devenir incontournable, il ne s’agit pas de travaux forcés !, prévient Elisa Brune, auteure de “La Révolution du plaisir féminin”(3), mine inépuisable d’informations sur la sexualité et l’orgasme féminins. Mais c’est une voie d’entrée royale vers le plaisir. Même à l’âge adulte, c’est un terrain d’investigation beaucoup plus facile, sur le plan psychologique, que la sexualité à deux, car on n’a pas peur du jugement de l’autre, on ne s’interdit rien. Elle permet d’élargir, d’entretenir la sexualité, tout au long de la vie. L’accès au plaisir n’est pas figé. On peut toujours partir à l’aventure, par exemple, avec un sex-toy, qui permet de tester des angles et des mouvements différents de ceux qu’on connaît avec la pénétration. » Une « petite récréation jouissive » dont beaucoup ne sauraient plus se passer. A quoi sert la masturbation ? Cinq réponses citées par Philippe Brenot, pour mettre l’eau à la bouche : « A prendre du plaisir à la demande et jouir exactement au moment où je l’ai décidé. » « A libérer mon imagination en fantasme, ce qu’on ne fait pas forcément avec son conjoint. » « A me chauffer et être prête à aller plus vite lorsqu’il arrive. » « A assouvir mon fort besoin de rapports, plus important que celui de mon compagnon ». « A libérer mes tensions ou envies subites (il n’y a pas que les hommes qui peuvent avoir une envie bestiale, mais chut !). »
(3) « La Révolution du plaisir féminin. Sexualité et orgasme » (Odile Jacob).
ELLE / Love & Sexe / A quoi sert la masturbation ?
Masturbez-vous !
Toutes les études des sexologues le prouvent : les femmes qui se masturbent souvent jouissent plus avec leur partenaire que les autres. Enquête.
Par Isabelle Duriez – Le 10/05/2012