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L’ART & LA SOLITUDE : MUSIQUE

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Giuseppe Verdi 1813-2001

…Ou la force d’un destin!

Grand compositeur italien du XIXème siècle, Verdi est défini par ses contemporains comme le chantre de la liberté et de l’unification italiennes. 

En composant “Nabucchodonosor” en 1841 (vite transformé en “Nabucco” par le public italien), il a signé un de ses plus grands ouvrages qui lui ont apporté le succès triomphal qu’on lui connaît. En plus d’apprécier le caractère novateur de l’oeuvre, les italiens, alors sous la domination autrichienne, ont reconnu dans cette oeuvre l’expression de son aspiration à la liberté: car quand les choeurs interprètent le chant des hébreux déportés à Babylone  “va, pensiero…” – devenu très vite le plus célèbre choeur de l’opéra italien-, c’est tout un pays qui se reconnaît dans leur oppression.

Et pourtant, le cours du destin de Verdi aurait dû être si différent…

Il venait de traverser une période de grande dépression quand il compose cet opéra écrit par Soléra: en l’espace de deux ans, entre 1838 et 1840, une série de malheurs anéantit sa famille.

D’abord la mort de sa fille, Virginia, emportée à l’âge de 16 mois par un mal foudroyant, puis un an plus tard celle d’Icilio, son petit garcon qui décède au même âge…Toujours très peu disert sur les événements de sa vie privée, Giuseppe n’écrit que quelques lignes sur cette disparition dans son “récit autobiographique” à Giulio Ricordi: “Mon petit garcon tombe malade au début du mois d’avril; les médecins ne réussissent pas à comprendre la nature de son mal et le pauvre enfant languit et s’éteint dans les bras de sa mère au désespoir…”

Margherrita est la toute première femme que Verdi ait connue: elle est la fille de son protecteur Barezzi; il lui enseignait le piano du temps où il était hébergé chez eux; les deux adolescents sont rapidement tombés amoureux l’un de l’autre et se sont mariés. Hélas, Margherita n’aura connu que les débuts difficiles de Giuseppe, se voyant contrainte de vendre au Mont de Piété ses quelques bijoux et affaires précieuses de famille pour subvenir aux besoins du foyer. Giuseppe s’était alors juré de vite réparer cet affront en multipliant les contrats pour la gâter au centuple. Il n’a pu hélas jamais tenir sa promesse puisque Margherita décède d’une méningite le 18 juin 1840. 

C’est un homme détruit et accablé qui suit avec son beau-père le cercueil de Margherita jusqu’au cimetière de San Giovanno, situé à la périphérie de la ville:

“J’étais seul…”, écrira Verdi dans son récit autobiographique de 1879, “…désespérément seul!” 

Sur ce, l’opéra-bouffe qu’il doit livrer à la Scala de Milan et qu’il écrit dans la détresse la plus totale suite aux décès successifs qu’il a à affronter, “Un giornio di regno”, est un échec cuisant. Verdi se dit que plus rien ne le retient à Milan; il décide de renoncer à tout, et pour toujours: ses projets de composition d’opéras et de scènes lyriques sont bannis à jamais – croit-il- car sur l’insistance de Merelli, imprésario de la Scala, connaisseur chevronné du monde du spectacle bien décidé à ne pas voir filer entre ses mains ce jeune prodige de la composition, retire “Un Giornio di regno” de l’affiche, prétextant que la prima donna est souffrante et hors d’état de poursuivre les représentations. Il met à la place “Oberto, conte di San Bonifacio” programmé la saison précédente et plebiscite par le public.

Lorsque Verdi se rend à sa convocation, certain d’avoir à affronter les menaces de l’imprésario, Merelli se contente de lui rendre son contrat: “ Verdi, lui aurait-il déclaré, je ne peux pas te forcer à écrire! Mais j’ai toujours confiance en toi. Qui sait, peut-être un jour, te décideras-tu à reprendre la plume? Alors il te suffira de me le faire savoir à l’avance et je te promets que ton opéra sera représenté…” En fait, l’argent qu’il va gagner grâce aux 17 représentations d’Oberto lui permet de quitter son appartement, témoin de son malheur, pour en louer un plus proche de la Scala…

La légende veut que dans le courant de l’hiver 1840-1841, se situe le célèbre épisode qui aurait décidé du destin du maestro: 

Alors encore en proie à une déprime persistante et toujours décidé à abandoner sa carrière de compositeur, Verdi rencontre par hasard Merelli en sortant d’une galerie d’art. Il neige à gros flacons. Merelli l’invite à l’accompagner dans sa loge à la Scala; tout en marchant, il lui raconte qu’il est fort embarrassé au sujet d’un nouvel opéra qu’il doit donner. Il en avait chargé le compositeur Nicholaï, mais le livret n’a pas séduit ce dernier. Ils parlent ensuite de choses et d’autres. En arrivant à son bureau, Merelli prend le manuscrit de Solera et s’exclame en le montrant à Verdi:

  • Regarde, voici le livret de Solera! Avoir un tel sujet et le refuser! …Prends-le!…et lis-le!
  • Que veux-tu que j’en fasse? Non, non je n’ai aucune envie de lire des livrets!
  • Allons, cela ne va pas te rendre malade! Lis-le et rapporte-le-moi.

Il lui remet le manuscrit. Verdi rentre chez lui:

Tout en marchant, je me sentis envahi par une tristesse indéfinissable, une angoisse gonflait mon coeur. Rentré à la maison, c’est presque avec rage que je jetais le manuscrit sur la table. En tombant, il s’ouvrit de lui-même et, sans savoir comment, mon regard tomba sur la page que j’avais devant les yeux et voici ce que je lus: Va, pensiero, sull’ali dorate ( “Envole-toi, pensée, sur tes ailes dorées”) je lis les vers suivants et ils me firent une forte impression, d’autant plus grande qu’ils paraphrasaient la Bible, lecture dont je me suis toujours délecté…” 

Décidé à ne rien écrire, Verdi va se coucher. Mais Nabucco lui trotte dans la tête! Il se relève, lit et relit le manuscrit jusqu’à le savoir par coeur.

Le lendemain, il rapporte le livret à Merelli sans avoir changé d’avis.:

  • c’est beau, hein? Me dit-il
  • Très beau
  • Eh bien, mets-le donc en musique.
  • Pas pour un empire…je n’en veux rien savoir!

Merelli prend le livret, le lui met dans la poche de son manteau, le saisit par les épaules et d’une secousse, le jette en-dehors du bureau, et lui ferme la porte au nez à double tour!

La suite, on la connaît…

En plus de rencontrer la gloire avec cet opéra, Verdi rencontre aussi la femme de sa vie, Giuseppina Strepponi, cantatrice notoire qui interpréte pour l’occasion le rôle d’Abigaëlle. Ces deux êtres ont su réunir leurs solitudes respectives pour faire triompher l’amour et le bonheur…

Voici ce qui peut advenir quand nous traversons des périodes de détresses insoupçonnables, lors de traverses de grandes solitudes…un regain de vie, une orientation nouvelle, des rencontres sacrées, un ciel qui s’ouvre sur une nouvelle clareté…

Karine Tuzet (citations de “Verdi et son temps” de Pierre Milza

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